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[MAJ] Bono rend hommage à l'homme qui ne pouvait pas pleurer

[MAJ] Bono rend hommage à l'homme qui ne pouvait pas pleurer

[MAJ] Bono rend hommage à l'homme qui ne pouvait pas pleurer


Nelson Mandela est décédé le 5 décembre 2013, à l'âge de 95 ans.

 

A cette occasion, Bono a écrit un long article dans le magazine Time, dont nous vous proposons ici la traduction française. On sait que les deux hommes étaient proches, qu'ils s'étaient rencontrés à plusieurs reprises et que tous deux étaient engagés, notamment, dans le combat contre l'extrême pauvreté en Afrique.


Bono rend hommage à l'homme qui ne pouvait pas pleurer.


L'humour, l'humilité et le sens du compromis étaient les traits marquants de cet homme

En tant que militant, j'ai toujours plus ou moins fait ce que Mandela a dit depuis que je suis adolescent. Sa présence a été très forte dans ma vie depuis 1979 lorsque U2 a fait sa première action contre l'apartheid. Et il est présent dans la conscience irlandaise depuis bien plus longtemps que ça. Les Irlandais faisaient bien trop facilement référence à l'assujettissement des majorités ethniques. De notre point de vue, le fait de savoir de quelle manière cette Afrique du Sud sanglante parviendrait à prendre son long chemin vers la liberté n'était pas du tout abstrait.

Nous sommes devenus amis au fil des années. J'étais, comme tout le monde, ébloui par l'adresse qu'il mettait à diriger l'Afrique du Sud. Ses rencontres avec Trevor Manuel et Kadar Asmal étaient directes et gonflées. Son partenariat avec son voisin de Soweto Desmund Tutu m'a apporté une joie sans pareil. Ce coup double (juste avant un coup triple, incluant sa femme, la belle et forte Graca Machel) a assuré le succès du combat anti-apartheid en Afrique du Sud et en a élargi le périmètre pour y inclure la lutte contre le SIDA et la quête de dignité des peuples les plus pauvres de la planète.

Mandela considérait l'extrême pauvreté comme un signe de la même lutte. "Des millions de personnes...sont prises au piège de la prison qu'est la pauvreté. Il est temps de les en libérer" a-t-il déclaré en 2005. "Tout comme l'esclavage et l'apartheid, la pauvreté n'est pas naturelle. C'est une invention de l'homme, et elle peut être vaincue...Parfois, une génération devient exceptionnelle. Vous pouvez être cette génération". Mandela était assurément exceptionnel. Son rôle dans le combat contre l'extrême pauvreté était crucial. Il a travaillé pour une annulation profonde de la dette, et pour un doublement de l'aide internationale aux pays d'Afrique sub-saharienne, pour le commerce et l'investissement privé, et pour la transparence dans le combat contre la corruption. Sans son aptitude à diriger, le monde serait-il parvenu à faire augmenter le nombre de traitements contre le SIDA offerts à 9,7 millions de personnes, et à faire décroître le nombre d'enfants mourant à la naissance à 2,7 millions par an ? Sans Mandela, l'Afrique serait-elle en train de connaître sa meilleur décennie en termes de croissance et de réduction de la pauvreté ? Le côté indispensable de son action ne peut pas être simplement vérifié par les mathématiques et les chiffres, mais je sais ce à quoi je crois...

On se souviendra de Mandela comme d'un homme remarquable, aussi bien pour ce qui s'est passé que pour ce qui ne s'est pas passé dans la transition de l'Afrique du Sud. Mais bien plus que tous, c'est lui qui a remis à plat l'idée que les gens ont de l'Afrique, passant d'une idée de continent plongé dans le chaos à une vision bien plus romantique, le tout en conservant la majesté du paysage et la noblesse de ses habitants les plus pauvres. Il était également solidement réaliste, comme l'a démontré sa politique économique. Pour lui, les principes et le pragmatisme n'étaient pas antagonistes, ils allaient de pair. Il était idéaliste sans être naïf, une personne acceptant le compromis sans s'y perdre pour autant.

Il est indiscutable que le refrain 'Africa Rising' devrait être attribué à Madiba, le nom de clan par lequel tout le monde le connaissait. Il n'a jamais douté que son continent triompherait au cours du 21ème siècle. "Nous ne sommes pas simplement les peuples ayant l'histoire la plus ancienne", m'a-t-il dit. "Nous avons le futur le plus prometteur". Il savait que l'Afrique possédait des richesses avec le pétrole, le gaz, les minerais, les terres et, surtout, les gens. Mais ils avait aussi qu' "à cause de notre passé colonial, les africains ne réalisent toujours pas que toutes ces choses leur appartiennent". Tout en riant, il ajoutait "Ils trouveront plein de personnes au nord de l'équateur qui seront d'accord avec eux".

Il avait de l'humour et de l'humilité, et il était bien plus malin et drôle que l'aréopage de dirigeants du monde entier qui s'attroupaient pour venir le voir. Il avait l'habitude de tendre la perche à ses invités : "Qu'est-ce qu'un homme puissant comme vous veut avoir à faire avec un vieux révolutionnaire comme moi ?".

Il était capable de faire plier n'importe qui avec son charme, et récupérer de l'argent. Il m'a dit une fois que Margaret Thatcher avait fait un don personnel de 20000 Livres Sterling à sa fondation. "Comment as-tu réussi cela ?", me suis-je étouffé. La Dame de Fer, une radine bien connue, verrouillait les cordons de sa bourse. "Je lui ai demandé", a-t-il répondu dans un éclat de rire. "Tu n'obtiendras jamais ce que tu veux si tu ne demandes pas". Il a ensuite baissé la voix jusqu'au murmure, et a admis que son don avait rendu malade quelques uns de ses partisans. "N'a-t-elle pas essayé d'écraser notre révolte ?", se sont-ils plaints. Sa réponse : "De Klerk n'a-t-il pas écrasé notre peuple comme des mouches ? Et je vais prendre le thé avec lui la semaine prochaine...Je lui ferais passer l'addition." (A d'autres occasions, j'ai entendu Mandela rendre hommage au courage de F.W. de Klerk, le dernier président de l'Afrique du Sud sous l'apartheid, qui avait se propres démons desquels se débarrasser : les dégâts causés par son éducation. Nous ne devons pas oublier son rôle dans ce drame historique).

Mandela a vécu une vie tout sauf moralisatrice. Essayez, vous verrez que ce n'est pas facile. Son absence de religiosité l'a aidé à convertir des ennemis en amis. En 1985, U2 et Bruce Springsteen on répondu à l'appel lancé par Steve Van Zandt pour que des artistes prêtent leur voix à un projet "artistes contre l'apartheid", avec l'enregistrement d'un titre appelé "Sun City". Sun City a été construite sur la frontière du Botswana pour contourner le boycott culturel de l'Afrique du Sud. Le casino de Sol Kerner là-bas était devenu un lieu très fréquenté. Des années plus tard, j'ai réprimandé Quincy Jones au sujet de son amitié avec Kerzner, et Quincy m'a répondu : "Mec, tu ne connais absolument rien au sujet de Mandela, non ? Ca ne faisait pas une semaine qu'il était sorti de prison qu'il appelait Sol Kerzner. Depuis ce moment, Sol a été l'un des plus gros donateurs au Congrès National Africain". Je me suis senti comme l'un de ces soldats japonais qui sont sortis de la jungle dans les années 1950, se croyant toujours en pleine seconde guerre mondiale."

Le rire, et non les larmes, étaient l'arme préférée de Mandela, à l'exception d'une fois où je l'ai presque vu s'étouffer. C'était sur Robben Island, dans la cour de la prison dans laquelle il avait passé 18 de ses 27 années d'incarcération. Il expliquait pourquoi il avait décidé d'utiliser son numéro de prisonnier, 46664, pour mettre en place un plan de lutte contre la pandémie de SIDA qui prend tellement de vies africaines. L'un de ses compagnons de cellule m'a dit que le prix que Mandela a dû payer après avoir passé des années à travailler dans les mines de calcaire, ce n'est ni le goût amer, ni la cécité à laquelle peut conduire le fait de travailler dans une lumière éclatante jour après jour. Mandela pouvait toujours voir, mais la poussière avait tellement endommagé ses canaux lacrymaux qu'il était incapable de pleurer. En dépit de toute sa clairvoyance et de sa vision, il était incapable de verser la moindre larme dans les moments de doute ou de deuil.

Il a subi une intervention chirurgicale en 1994 pour réparer tout ça, et depuis il pouvait pleurer.

Aujourd'hui, nous le pouvons aussi.

 

[MAJ] Ce discours paru dans Time magazine a visiblement été écrit il y a quelques temps. Bono s'est exprimé aujourd'hui même, via un communiqué sur le blog de (Red) :

"C'était comme s'il était né pour donner à notre époque une leçon d'humilité, d'humour et surtout de patience. A la fin, Nelson Mandela nous a montré comment aimer plutôt que comment détester, pas parce qu'il n'avait jamais cédé à la colère ou à la violence, mais parce qu'il avait appris que l'amour serait plus efficace. Mandela prenait énormément de risques. Il a mis sa famille, son pays, son temps, sa vie en jeu, et il a gagné la plupart de ses paris. Il a été obstiné jusqu'à la fin pour les bonnes raisons, et on avait l'impression qu'il était en passe de devenir plus célèbre que son créateur. Aujourd'hui, finalement, il s'est éclipsé. Et certains d'entre nous pleurent, sachant qu'il nous avait fait ouvrir les yeux très grands sur beaucoup de choses".


Nos sources : 
Bono Honors The Man Who Could Not Cry
Bono's Statement on Nelson Mandela Legacy


Par U2achtung / Lien permanent vers la news